Paternité d’une communauté – réponse du Père de Roucy

Mon père,

 

Suite à notre rencontre du 2 mai au matin, votre courrier du 5 courant m’est bien parvenu et je vous en remercie. Vous me demandez mon avis sur ce texte reprenant des propos que j’ai tenus il y a plus de dix ans, le 3 août 2004 pour être précis, au sujet de la paternité dans une communauté chrétienne.

 

Avant de parler du contenu, permettez-moi tout d’abord de faire quelques remarques sur la forme et l’authenticité de ce document. Il s’agit d’une réponse spontanée et orale, non préparée, non écrite, reprenant différentes interventions et discussions des uns et des autres, une tentative de synthèse « à chaud » de la journée de notre chapitre. Elle ne s’agit donc en rien d’une synthèse « finale », mais d’un résumé intermédiaire d’un des nombreux thèmes que nous avons trai­tés.

Contrairement à ce qui est écrit au stylo sur le document que vous m’avez remis, cette brève intervention de vingt minutes n’a jamais été distribuée à tous, ni fait l’objet de retranscriptions, de relecture de ma part, de reprises ou d’enseigne­ments par la suite. La personne qui a écrit à la main sur le document « enregis­trement donné aux participants » énonce une contre-vérité. Je soupçonne l’ex-Père A.R. ou le Père J.S. de s’être procuré l’enregistrement auprès des organisateurs ou d’en avoir fait un enregistrement sans mon consente­ment pour ensuite en faire une diffusion et une utilisation très malveillantes. Ces paroles ont été retranscrites et diffusées par écrit contre mon gré et je n’aurais jamais permis qu’elles soient distribuées en l’état à l’intérieur ou à l’extérieur de Points-Cœur.

 

Dans le contexte de ma retraite sur « Le magistère de toute chose », j’avais insisté sur le fait que le seul éducateur et maître est le Saint-Esprit et que tous les autres « éducateurs » ou « père » ne le sont qu’en référence à Lui. L’ordre de mes confé­rences me semble aussi important : le Saint-Esprit est le seul éducateur, il le fait par l’Église, les sacrements, l’Évangile, les charismes, les pauvres, la Providence, la communauté… Ces priorités que j’avais énoncées lors de ce chapitre de 2004 permettent d’interpréter correctement mes propos et de ne pas déformer ma pen­sée en hypertrophiant quelques phrases sur la paternité spirituelle.

 

Au sujet du contenu je reconnais que certaines phrases ont dépassé ma pensée et sont maladroites ou ambigües. Je n’aurais jamais écrit, signé ou diffusé de telles choses et je ne tiendrais plus aujourd’hui de tels propos. Si j’avais écrit ou signé ce document, je serais prêt à en retirer plusieurs phrases ou à corriger certains passages. Par exemple, le supérieur ou le fondateur est le « garant » et le « pilier » de l’unité et non pas la « source » de l’unité. Il est bien évident que le Christ est l’unique « source » de tout bien. Je sais aussi que la paternité spirituelle n’est jamais un « sacrement » au sens strict mais qu’il ne s’agit que d’une analogie loin­taine. Il est « en quelque sorte et sous un certain aspect » le sacrement de l’unité, puisque « toute paternité vient de Dieu » (Eph 3, 15).

 

Au sujet de la paternité spirituelle, permettez-moi de faire trois remarques :

  1. J’adhère pleinement à l’enseignement suivant de saint Jean-Paul II que j’ai cherché à expliquer et à transmettre : « De par leur nature, les charismes sont com­municateurs et font naître des « affinités spirituelles entre les personnes » (Christi-fideles laici, 24) et suscitent l’amitié dans le Christ qui donne origine aux « mouvements ». Le passage du charisme originel au mouvement a lieu en vertu de l’attirance mystérieuse exercée par le Fondateur sur ceux qui se laissent toucher par son expérience spiri­. De cette façon, les mouvements reconnus officiellement par l’autorité ecclésiale se présentent comme des formes d’auto-réalisation et comme des reflets de l’unique Église. Leur naissance et leur diffusion ont apporté une nouveauté inattendue et par­fois même explosive dans la vie de l’Église. Cela n’a pas manqué de susciter des inter­rogations, des malaises et des tensions ; cela a parfois comporté des présomptions et des excès d’un côté, et de nombreux préjudices et réserves de l’autre. Cela a été une période d’épreuve pour leur fidélité, une occasion importante pour vérifier l’authenti­cité de leur charisme ».
  1. Selon la logique réaliste et la philosophie thomiste que j’ai voulu transmettre, l’analogie permet d’établir un certain rapport de proportionnalité et plus les réa­lités sont dissemblables, plus l’analogie est riche pour l’intelligence. La paternité spirituelle, comme la paternité biologique, est bien sûr infiniment distincte et éloi­gnée de la paternité divine. L’utilisation du même mot ne signifie en rien une lec­ture univoque ou « intra-trinitaire ». Comme l’écrit le Dr Gerosa : « Les mouve­ments ecclésiaux issus d’un charisme particulier constituent aujourd’hui une force considérable de pénétration missionnaire de l’Église dans des milieux sociaux et cul­turels complètement sécularisés ou athées, où il n’est pas rare qu’on assiste à de véri­tables conversions, face auxquels le fondateur (ou la fondatrice) peut très légitime­ment reprendre la parole de Saint Paul : « Je vous ai engendré dans le Christ-Jésus » (1 Co 4, 15). Il faut ajouter toutefois que cet « engendrement » a plutôt le caractère d’une introduction ou d’un accompagnement jusqu’à la pleine maturité de la foi, qui ne s’ac­quiert pas sans une expérience de la communio ecclésiale2 ». Le terme de génération étant lui aussi analogue.
  1. Le constat d’une crise de la paternité dans notre société n’est pas de moi. Saint Jean-Paul II souligne dans le texte ci-dessus que la paternité est une source de « tension » indéniable. Si j’ai abordé ce thème — en mettant en garde contre toute vaine polémique — ce n’est ni pour condamner qui que soit ni pour me mettre au centre, mais pour orienter le sacerdoce commun et ministériel des membres de Points-Cœur car la compassion nous invite à poser un regard paternel et maternel sur les personnes souffrantes et seules. Le texte de référence sur ce thème n’a jamais été cet enseignement oral d’août 2004, mais, dès sa parution en 2003, j’ai indiqué le livre intitulé « La sfida de la paternità3 » de l’archevêque de Regio­Emilia, Mgr Camisasca, comme texte de référence que la plupart des membres de Points-Cœur ont étudié. En 2011, à l’occasion de l’année sacerdotale, Mgr Cami­sasca reprend ce thème de la paternité sacerdotale dans un nouveau livre intitulé « Père », paru aux Éditions de l’Emmanuel. Dans la préface de ce livre, Mgr Bruguès affirme : « Le prêtre est appelé à devenir père, alors que la figure du père est devenue la grande absente de la vie sociale contemporaine. Un sociologue assurait récemment qu’elle était même devenue « explétive ». Il faut donc réhabiliter dans l’Église le sens de la paternité, d’abord chez l’évêque dont le ministère doit être repensé à cette lumière-là, ensuite chez le prêtre dont la mission implique une éduca­tion de la foi et une formation morale. 4 »

 

Je profite de votre demande d’éclaircissement pour redire que je souhaite être fidèle en toute chose au Magistère vivant de l’Église et que je suis prêt à retirer ou à amender tout ce qui pourrait prêter à équivoque dans mes écrits.

 

Je vous prie de croire, mon Père, à l’expression de mes sentiments dévoués et respectueux en Notre Seigneur.

 

Père Thierry de Roucy